- Pierre Cossard
Quand le Forum Vies Mobiles teste… le rationnement de la mobilité

17/09/2021 - En ce deuxième jour de la Semaine Européenne de la Mobilité, il semble utile de se pencher sur un rapport publié le 14 septembre 2021 (mais daté de mai) par le Forum Vie Mobiles*, et passé jusque-là quelque peu inaperçu auprès des grands médias.
Il est vrai qu’en ces temps de passeport sanitaire, de manifestations hebdomadaires et de campagne électorale, un document intitulé
« Rationner les déplacements carbonés : une alternative à la taxe carbone », risquerait de heurter certaines catégories de population, déjà très sensibles aux différents aspects de la notion de liberté. Surtout quand une des premières d’entre elles consiste justement en la capacité de tous à se déplacer selon son gré.
En substance, le Forum Vie Mobiles a fait évaluer, pour la première fois, la faisabilité à l’échelle de la France, d’une politique de rationnement des déplacements les plus émetteurs de CO2, traduisez : ceux effectués en voiture et en avion.
L’objectif ? Atteindre la neutralité carbone en 2050, un enjeu important aux yeux de cet institut, qui pointe le transport comme responsable de 30% des rejets de CO2 (10% pour la voiture individuelle).
Un volume que d’aucuns trouveraient finalement assez raisonnable dans un pays qui ne représente que moins de 2% des émissions carbones mondiales… Mais bon.
Grand soir, ou monde d’après…
L’anxiété généralisée de nos sociétés liée à la crise sanitaire du moment semble donc donner des idées à certaines arrière-pensées politique. L’institut positionne de fait sa démarche dans cette logique. « La crise sanitaire nous a montré un avant-goût d’une situation qui sera beaucoup plus grave encore : la crise écologique qui nous menace », peut-on par exemple lire dans le préambule de l’étude.
La leçon du grand ratage de la taxe carbone sur les carburants, qui avait logiquement mené à la création du mouvement des Gilets jaunes a semble-t-il été tirée. Elle est désormais jugée inéquitable, dans la mesure où elle pèse plus fortement sur le budget des ménages les plus pauvres.
Elle est également considérée comme inefficace par Forum Vies Mobiles, « parce qu’elle a peu d’effets sur les modes de vie des plus riches, pourtant les plus émetteurs de CO2 ».
Autre marqueur, jamais cité, mais omniprésent en filigrane, celui de la décroissance, là encore symbolisée dans la formule suivante : « nous avons appelé à plus de solidarité, sobriété, modération dans la consommation, à favoriser les circuits courts et locaux, à l’autoproduction (que les confinements ont incité un peu partout sur la planète) ».
Vers une société de contrôle… pour notre bien ?
Selon cet institut, Le rationnement des déplacements carbonés serait donc bel et bien possible. Et sa mise en œuvre serait facilitée par l’adoption de règles de gestion et « d’instruments de contrôle peu nombreux et souples » (un nouveau pass, carbone cette fois…), indispensables pour « en éviter la bureaucratisation excessive ».
Aux vues de la complexité du marché carbone actuel des entreprises, on peut s’interroger sur la véracité, ou la naïveté, de cette assertion, d’autant que l’étude ne manque pas ensuite de lister les différents organismes de contrôle qui devraient logiquement intervenir pour la gestion d’un tel système.
Elle préconise ainsi à minima la création d’une agence nationale publique ; la distribution de cartes magnétiques personnelles (de type carte de crédit) ; la mise en place progressive du dispositif et période de test ; et la modulation des quotas en fonction de la taille des ménages, du type de territoire habité et de situations personnelles nécessitant certains déplacements important (recherche d’emploi, problèmes de santé, ...).
La recherche, effectuée pour le compte de Forum Vies Mobiles par le master Energie, écologie et société de l’Université de Paris dirigé par l’historien des transports et ingénieur Arnaud Passalacqua, montre également que l’achat et la revente de quotas manquants ou en surplus, grâce à la mise en place d’un marché de quotas, pourrait faciliter certaines situations imprévues.
Avance masquée
L’angoisse de la fin du monde n’étant sans doute pas encore pleinement intégrée par tout le monde, et comme il faudra éviter le risque d’une levée de boucliers massive, le basculement préconisé est bien sûr progressif.
Selon l’étude, « Les secteurs seront visés de manière progressive, et la mise en place du rationnement sera précédée d’une période blanche ». Durant ces années blanches : une période de comptabilité des quotas sans décompte sera mise en place, « afin de permettre aux utilisateurs d’estimer l’impact de leurs déplacements et de se préparer à la mise en place du rationnement ainsi qu’aux politiques publiques et entreprises d’anticiper cette transformation ».
Une méthode qui rappelle furieusement la création des désormais fameuses vignettes Crit’Air, initialement facultatives, puis obligatoires, et qui sont désormais devenues le pass d’entrée (un de plus) dans les ZFE mise en place dans les agglomérations…
Les esprits désormais habitués, viendra ensuite le temps des restrictions, elles aussi progressives. Les quotas viseraient donc d’abord l’aérien (national), « car l’aérien est un marché de niche plus simple à comptabiliser et contrôler », puis l’automobile.
Dans la même veine, les quotas viseront d’abord les déplacements professionnels puis les déplacements personnels « pour permettre aux utilisateurs de s’habituer au système dans un milieu encadré ».
Souriez, vous êtes visés !
Pour étoffer son propos, l’institut recourt à différentes études de cas particulièrement révélatrices. Ainsi, Sylvain, cadre supérieur amené à voyager régulièrement pour son travail et ses loisirs, et qui consomme 3,138 t CO2 en 2021 dans ses transports, devra diminuer sa consommation et ainsi amputer son quota carbone de 3,048 t CO2 en 2050. Une bagatelle.
« À la vue des efforts que Sylvain doit fournir en 2050, il serait peut-être plus intéressant pour lui de déménager à proximité de son lieu de travail, économisant ainsi des déplacements », lui conseille donc l’étude…
Un document qui mérite donc toute notre attention, car, surfant sur certaines angoisses du moment, il détaille un processus qui ne manquera pas de séduire une frange très active des défenseurs de l’écologie politique. Un corps électoral qui parle parfois fort à l’oreille de certains candidats.
*Créé en 2011, le Forum Vies Mobiles est un institut de recherche sur la mobilité qui prépare la transition vers des modes de vie dits plus désirés et durables. Il encadre des recherches, publie des ouvrages et organise des événements dans les domaines scientifique et… artistique.