- Christine Cabiron
Pascal Jacquesson, DG de Keolis Lyon
Propos recueillis le 31 mars 2020
A Lyon, Keolis et le Sytral ont conçu un service régulier adapté à la desserte des centres hospitaliers et des pôles d’alimentation. La desserte des communes a été préservée mais à des fréquences moindres. L’offre des Transports en commun lyonnais a été réduite de moitié. Interview de Pascal Jacquesson, directeur général de Keolis Lyon.

Mobilités Magazine : comment avez-vous procédé pour réduire l’offre de transport publics ?
Pascal Jacquesson : depuis le 30 mars nous assurons un peu moins de 50% des services. C’est le troisième ajustement que nous avons réalisé. Nous avons conçu les services en fonction de trois priorités : la desserte des établissements hospitaliers de l’agglomération lyonnaise (il y en a une petite cinquantaine) et des grands pôles d’alimentation. Nous avons aussi tenu à préserver la desserte des communes et des quartiers. Nous avons aussi réduit l’amplitude. Le métro et le tramway s’arrêtent à 23h et les autres lignes de bus à 21h.
MM : pourquoi n’avez-vous pas créé un service dédié aux agents hospitaliers ?
PJ : nous sommes en contact permanent avec les établissements de santé. La desserte via les lignes régulières leur convient. Néanmoins, ils nous ont demandé des compléments de fréquences sur certaines lignes ou d’accroître l’amplitude sur d’autres.
MM : quel est l’impact du confinement sur la fréquentation des TCL ?
PJ : la fréquentation a baissé d’à peu près 90%. En temps normal, nous enregistrons plus de 1,9 millions de voyages par jour. Actuellement il y en a 180 000. Nous utilisons des bus articulés à la place des standards pour que les distances de sécurité soient respectées.
MM : comment sont organisées les ressources humaines ?
PJ : moins de 4000 salariés sur les 4500 que compte l’entreprise sont sur le pont. Nous avons demandé aux personnels des fonctions support d’être en télétravail quand c’était possible. Nous avons entre 5 et 10% d’absentéisme. Ce qui est un peu plus que d’habitude. S’ajoutent les personnes en arrêts pour garde d’enfant ou atteintes de pathologies présentant un risque. A l’exploitation, sur 1800 salariés, nous avons entre 300 et 350 personnes en chômage partiel.
MM : quelles mesures avez-vous prises pour protéger les salariés ?
PJ : nous avons distribué du gel hydroalcoolique, comme nous le faisons tous les ans au moment de la grippe. Comme les autres réseaux, nous avons arrêté la vente à bord, condamné les premiers sièges avec du rubalise et confiné le conducteur. Dans les centres d’exploitation, nous avons instauré un sens de circulation et protégé le responsable d’ordonnancement. Nous avons mis en place cette organisation également dans les ateliers.
MM : comment sont désinfectés les véhicules ?
PJ : très tôt, nous avons renforcé ces opérations. Pour cela, nous avons augmenté les équipes de nettoyage en ayant recours à la sous-traitance. Nous avons désigné un staff d’une quinzaine de personnes chargées de vérifier que les procédures de désinfection sont strictement réalisées tous les soirs. Depuis le 30 mars, les bus sont nettoyés à l’entrée et à la sortie des dépôts. Pour les tramways et les métros, ce sont les agents de maîtrise qui vont nettoyer les postes de conduite à chaque relai.
MM : comment gérez-vous cette crise sanitaire ?
PJ : nous sommes en contact quotidiennement avec le Sytral, l’autorité organisatrice. En interne, le pilotage de cette crise est pris en charge par le comité de direction. Dans la phase la plus évolutive des différentes dispositions et de réduction de l’offre, nous faisions un point tous les jours et étions en contact avec les services d’exploitation par conférence téléphonique. A Lyon, nous avons un groupe qui réunit les 100 principaux managers. Désormais, nous organisons des téléconférences une à deux fois par semaine. L’objectif est de les tenir informés des dispositifs à mettre en œuvre et de maintenir le contact. Par ailleurs, les responsables du comité de direction sont sur le terrain. L’objectif est d’apporter des informations et un soutien aux salariés. C’est une période où il faut à la fois bien protéger nos agents, tout en assurant un service qui continue d’être nécessaire. Il faut être très adaptatif.
MM : en quoi cette crise est différente de celles que vous avez dû gérer en dix ans de direction des TCL ?
PJ : je n’ai jamais vécu une telle crise. La mobilité qui est notre cœur de métier est comme suspendue et réduite à son strict minimum. Après les attentats de Paris, il y avait de l’inquiétude, mais l’impact sur la fréquentation ne s’était fait sentir que quelques semaines. Le besoin de déplacement était restés sensiblement le même dans la ville. Aujourd’hui, c’est totalement différent. Les gens ne se déplacent quasiment plus. Tout le monde est inquiet : la population et les salariés. Le personnel des TCL a conscience de réaliser une mission de service public qui est nécessaire. Je suis impressionné par le très bon état d’esprit qui règne dans l’entreprise.
MM : pensez-vous que cette crise va freiner l’engouement des Lyonnais pour les transports public ?
PJ : avant cette crise, la fréquentation progressait de + 4 à + 5% par an depuis plusieurs années. C’est un rythme qui est quatre fois supérieur à la démographie du Grand Lyon. C’était une dynamique de transfert modal fort. Donc le Sytral avait prévu de renforcer l’offre et de créer de nouvelles lignes. Nous sommes en train d’étudier quels projets nous allons maintenir. Il y a un grand point d’interrogation sur comment va se dérouler la transition au moment de la sortie du confinement. J’ai l’espoir que cette crise ne sera pas une rupture dans la conscience qu’il faut se tourner vers des modes de transport durables. Je ne pense pas que cette dynamique sera cassée. De plus, les gens vont s’apercevoir que pendant le confinement, on respire bien et que le ciel est plus bleu que d’habitude !
MM : avez-vous évalué l’impact financier de cette crise ?
PJ : c’est difficile pour l’instant. Toutes les mesures que nous avons prises représentent des coûts supplémentaires. Le réseau de Lyon a un très bon niveau de recettes commerciales (plus de 20M€/mois). Celles-ci sont tombées quasiment à zéro. Nous allons échanger avec la collectivité à ce sujet. Pour l’instant je ne sais pas quelle sera la situation économique du réseau à la sortie de cette crise. La mobilité va redémarrer progressivement à la sortie du confinement. Nous nous préparons déjà à cela. Une chose est sûre : en ces temps de crise, nous mesurons à quel point notre métier est utile. Certes les personnels soignants et ceux qui distribuent l’alimentation sont en première ligne, mais nous sommes indispensables dans cette chaîne.