L'Observatoire Cetelem 2020
Automobile : je t'aime, moi non plus...
Jean-Philippe Pastre
07/12/2019
L'Observatoire Cetelem consacre une étude sur le rapport que nos sociétés ont à l'automobile révélant, selon les propres termes de son directeur, Flavien Neuvy, que « c'est une véritable fracture automobile qui saute aux yeux ».

Etude qualitative autant que quantitative (10 000 individus interrogés, dans 15 pays de différentes régions du monde), l'étude 2020 publiée par l'Observatoire Cetelem révèle les disparités vécues dans le rapport à l'automobile et les nouvelles mobilités.
Flavien Neuvy, Directeur de l'Observatoire Cetelem, note les profondes contradictions liées à l'automobile et son industrie : « Il faudrait la combattre d’un côté et de l’autre la protéger en limitant les coûts liés à son utilisation. Une équation impossible à résoudre ? Pas forcément, mais les ruptures en cours ne se feront pas sans heurt. Tout l’enjeu sera pour les pouvoirs publics de laisser le temps nécessaire aux constructeurs de s’adapter aux nouvelles normes. Ils devront également adapter leur offre en fonction des continents. En Europe, les objectifs fixés en matière de réduction d’émissions de CO2 rendent la voiture électrique incontournable. Les constructeurs devront en vendre beaucoup pour échapper aux lourdes amendes qui les guettent. Toutefois, les États-Unis, deuxième marché mondial, n’ont pas fait les mêmes choix(...) Mais sera-t-il possible pour un constructeur d’investir des milliards dans la voiture électrique tout en continuant à investir dans le moteur thermique ? »
Notez que la question se pose dans les mêmes termes pour les constructeurs d'autobus et d'autocars en Europe. Mais les constructeurs ne sont pas les seuls à subir de fortes pressions, parfois antagonistes. Les utilisateurs aussi, ainsi, les auteurs notent : « Alors qu’une partie aspire toujours autant à acquérir ce bien libérateur des contraintes de l’espace et du temps, une autre tient l’automobile comme responsable de tous les maux écologiques, jusqu’à être évincée, à certains endroits, de l’espace public. Mais des fractures internes, nationales, sont également ouvertes. S’en passer est un luxe : celui des citadins proches de tout et qui peuvent à loisir arbitrer leurs modes de transport. Tandis que vivre sans voiture est au mieux un purgatoire pour les jeunes en attente de situation et de moyens compatibles avec son coût, au pire un enfer pour les péri-urbains et les ruraux éloignés de tout et notamment des alternatives du transport en commun. Cumulant les difficultés, les jeunes ruraux n’auront pas volé le titre de maudits de la bagnole ! »
Bataille de chiffres
L'étude met en avant de nombreux paradoxes : ainsi l'augmentation du taux de motorisation (dans les 15 pays analysés) contredit-elle une tendance également observée à la décrue dans les grands centres urbains occidentaux.
L'Observatoire Cetelem relève que les comportements d'achat et d'usage vis-à-vis de l'automobile sont homogènes entre Chine, Turquie, Afrique du Sud et Brésil. Ces pays ont également un rapport inversé aux pays occidentaux lorsque l'on observe l'âge des populations les plus attachées à l'automobile : dans ce quatuor, ce sont les jeunes générations qui y sont les plus accrochées.
En Europe, à la question « Etes-vous attachés à votre voiture ? », il s'en trouve tout de même 84% des 18-34 ans interrogés qui déclarent « oui tout-à-fait », ou « oui, plutôt » ce qui constitue une surprise face à l'automobile bashing qui domine le discours des médias et partis politiques et militants environnementalistes.
Leurs messages ont visiblement bien pénétré les esprits des milieux urbains : « La partition ville/champs marque le plus de différence avec des citadins plus sensibles a des choix de consommation écologiques (…) Les différences générationnelles sont également tres aigües. En France, les millennials sont deux fois plus nombreux que les seniors a juger l’automobile principale source de pollution (63% vs 30%). En Allemagne, en Belgique et aux Pays-Bas, la proportion est presque identique. On retrouve aussi des écarts importants en Afrique du Sud et au Royaume-Uni. L’analyse de ces mêmes résultats en fonction du lieu de vie distingue encore et toujours Allemagne, France, Belgique et Pays-Bas comme principaux terrains de fracture entre, d’une part, les habitants des grandes villes très critiques vis-a-vis de la pollution automobile et, d’autre part, des ruraux beaucoup moins accablants »
Bien au-delà des notions de plaisir ou d'image, 47% des ruraux et 49% des Seniors interrogés affirment surtout que la voiture est avant tout indispensable. Selon les auteurs, cela se vérifie surtout en Italie, Belgique et Japon, « et beaucoup moins en Allemagne ».
Pour 11% des personnes interrogées l'automobile est perçue comme une contrainte. Ce chiffre est à comparer aux 12% qui estiment que « c'est un plaisir en soi » (Sud-Africains, Britanniques et Américains sont entre 52 et 60% à déclarer « aimer leur voiture »). Belle ambivalence que voilà !
Quel substitut ?
Si, au niveau mondial de l'étude, 32% des sondés estiment n'avoir pas d'autre alternative pour se déplacer, ce taux de réponse grimpe à 44% pour les français interrogés. Comme le note le rapport : « Ce résultat explique en creux pourquoi toucher en France à l’automobile peut se transformer en sujet potentiellement explosif (cf. le mouvement des « gilets jaunes »). A l’inverse, il est possible d’habiter un grand pays, au sens géographique, comme le Brésil et être seulement 15% à juger la voiture sans concurrent crédible ».
Les transports urbains sont perçus comme développés (très ou assez) à 67% par les répondants (moyenne identique entre Europe et le reste du monde) avec quelques beaux scores à cette réponse en Chine (86%), Pays-Bas (80%) et Royaume-Uni (78%). La France est en-deçà de la moyenne (60%) et, sans surprise, les personnes interrogées issues des Etats-Unis, Italie et Portugal ont un jugement sévère sur le développement de leurs transports publics (entre 55 et 58% de réponses positives).
A propos de la France, un fracture apparaît nettement suivant le lieu d'habitation : ils sont 92% des citadins à trouver leurs réseaux de transports publics assez ou très développés ! Unanimité en Pologne : 100% des urbains interrogés y jugent leurs réseaux de transports publics très développés.
Même soutien des habitants des villes en Allemagne, Chine et Japon (de 95 à 96% de perception positive). L'usage de l'auto en libre-service, éventuellement associée au « paiement à l'usage » ne recueille que 7 à 8% de marques d'intérêt au niveau mondial.
Vers un nouvel usage... et de nouvelles contraintes
L'idée de possession n'est plus la même que par le passé. Les jeunes urbains, sont les plus prompts à ne pas envisager la propriété de l'objet. A la question « Pourriez-vous envisager de ne plus jamais posséder de voiture de toute votre vie », seuls 43% des français interrogés répondent « Tout à fait » ou « oui », sous certaines conditions (moyenne Europe : 55%).
Les disparités sont alors très nettes entre les villes et les campagnes (66% prêts à y renoncer dans un cas, contre 52% dans le second). Les kilométrages annuels parcourus en voiture, comparés entre 2000 et 2015, diminuent en Europe comme en France.
En France, la première raison pour ne pas utiliser de voiture est... l'absence de permis de conduire (34% des répondants). Tandis qu'aux Amériques, cela est motivé pour des questions budgétaires.
Le poste carburant pèse lourd dans les portefeuilles : « Sur ce sujet, qui a été le déclencheur de la crise des Gilets Jaunes, la France exprime une opinion toute aussi massive, et supérieure à la moyenne (88 %). » L'Observatoire Cetelem, étudiant l'OCDE Global Petrol Price, contredit une opinion défendue par la FNAUT : selon cette dernière le prix du carburant à coût constant a baissé ces dernières années.
Or le taux d'effort - ou rapport entre le prix du carburant et PIB par tête - situe la France au-dessus des indices de la moyenne mondiale. Pour autant, le taux de renoncement au déplacement y est inférieur à celui de l'Italie (où les carburants sont encore plus chers) ou de l'Espagne (où les carburants sont moins taxés).
Quant à la fiscalité punitive, tant en vogue à Bercy ou dans les association militantes de l'écologie politique, elle est massivement refusée (ou jugée non crédible) par les sondés : ils ne sont que 15% des français, 17% des européens ou 18% dans le monde à juger « préférable que les pouvoirs publics augmentent les taxes sur les carburants afin de favoriser l'adoption d'autres modes de transport ».
En France, les auteurs notent que l'écart entre citadins et ruraux est ici particulièrement fort (25% de différence à cette question). Là encore, un point à méditer pour qui veut comprendre sérieusement le phénomène « gilets jaunes ».
Quelle part pour le co-voiturage ?
Cette pression fiscale induit tout de même des phénomènes d'adaptation, et à la surprise de l'Observatoire Cetelem, le co-voiturage apparaît en 4e place des réponses comme moyen de réduire le budget consacré à l'automobile.
La motivation économique domine largement sur les autres considérations, environnementales ou relationnelles. Privilégier les autres modes de transport n'apparaît qu'à la 10e place, derrière une option inquiétante pour la sécurité routière : le renoncement à l'usage des autoroutes à péages. La copropriété figure en bas de tableau.
Concernant le co-voiturage, l'Observatoire Cetelem rappelle une évidence que les défenseurs de la « Start-up nation » ont du mal à reconnaître : « à la campagne, la question de pratiquer le covoiturage ne se pose pas vraiment. 35% des ruraux n'ont pas l’occasion de pratiquer le covoiturage, contre seulement 20% des urbains. Un quart des personnes interrogées jugent enfin le covoiturage trop contraignant. Et pour une fois, jeunes et plus âgés, citadins et campagnards s’accordent dans la même proportion ».
Un phénomène passé sous silence par les promoteurs du co-voiturage est le sentiment d'insécurité qui hante 35% des sondés au niveau mondial (chiffre qui culmine à 54% au Brésil), avec 25% des gens y ayant renoncé suite à une mauvaise expérience précédente.
Disparités régionales autour de l'autopartage
Partant des données de Shaheen (Spring Carsharing Outlook 2018), l'Observatoire Cetelem relève l'essor de l'autopartage, que ce soit en nombre de véhicules mis à disposition ou en nombre d'abonnés.
L'Europe n'est pas ridicule en terme de croissance mais avec un nombre d'inscrits seulement équivalent à la moitié de l'Asie. Les Etats-Unis semblent ici en retrait. La mutualisation entre particuliers connaît quelques réticences en Europe (sauf en Italie et Pologne).
L'Observatoire Cetelem a voulu en savoir plus sur cet état de fait. Cela tient notamment à la peur de la détérioration (59% moyenne Europe, 62% moyenne Monde), mais en France ce mode de location est surtout perçu comme une intrusion dans la vie privée !
La conclusion peut paraître sévère : « Alors, les solutions d’autopartage et de covoiturage seraient-elles seulement de belles mécaniques rutilantes au plan marketing ? Force est de constater qu’au-delà de l’attachement personnel a sa voiture, les contraintes imposées et la simple réalité de la vie expliquent en grande partie le relatif confinement des solutions d’autopartage et de covoiturage a une sphère limitée d’utilisateurs. Même si le poids des millennials et des urbains plus propices et enclins à ces nouvelles « automobilités » laisse augurer de réels espoirs de décollage (…) L’ironie de la situation, c’est que les moyens alternatifs et modernes d’user d’une automobile ne peuvent se développer que là où l’on en a le moins besoin : en ville. Le volume et la densité de population que réclament les nouvelles solutions de partage pour trouver leur équilibre économique ne sont en effet pas compatibles avec les espaces et la faible densité humaine du monde rural ».
Peut-on être plus clair ?
L'Observatoire Cetelem et ses indicateurs
Partant des données chiffrées de son étude 2020, l'Observatoire Cetelem a créé des indices destinés à mesurer le degré de diffusion de l'automobile, dans son rapport traditionnel de possession et d'usage (Car Use Now), un deuxième (Car Use New) destiné à évaluer le niveau d'adoption aux nouveaux usages et un troisième (Car Use Next) quantifiant l'appétence pour les nouvelles formes d'usage de mobilité.
Si l'Italie est championne du monde pour sa vision « conservatrice » de l'automobile, la surprise vient de l'Afrique du Sud, du Brésil et, dans une moindre mesure de la Chine, qui ont les potentiels clients les plus appétents pour adopter de nouvelles formes d'usage.
Le conservatisme est également particulièrement fort dans les zones les moins densément peuplées. « En toute logique, les indicateurs Car Use New et Car Use Next, qui témoignent de la percée des nouvelles mobilités, obtiennent les notes les plus fortes dans les grandes villes. Pour autant, ces notes ne sont pas encore aussi élevées que pour l’indice Car Use Now. En revanche, à âge égal, la différence est souvent du simple au double entre les plus petites villes et les plus grandes ».



