Réforme ferroviaire
Ouverture à la concurrence : les acteurs au pied du mur

Michel Chlastacz
« Rien n’est simple. Tout se complique ». Les titres de deux célèbres albums du dessinateur Sempé peuvent résumer l’état actuel de la marche vers l’ouverture à la concurrence des TER prévue par le Pacte ferroviaire.
C’est ce qu’a montré l’intéressant colloque fort justement intitulé « Ouverture à la concurrence : et maintenant ? », organisé le 25 octobre 2018 à Paris par l’AFRA, l’Association Française du Rail. Puisque, d’emblée, en ouvrant les débats, son président Claude Steinmetz convient qu’en dépit de ses « succès dans certains pays européens […] la concurrence n’est pas une fin en soi [et qu’elle] ne règlera pas tous les maux du secteur ».
La première table ronde, qui traite de la mise en œuvre du Pacte ferroviaire, constate que des obstacles importants demeurent. En premier lieu l’accès aux informations, pour le moment détenues en grande partie par l’opérateur historique, apparaît comme un enjeu essentiel, alors que le « secret des affaires » aux limites particulièrement floues peuvent servir de prétexte de rétention.
Peu optimiste sur ce sujet, Alain Bonnafous, professeur émérite de l’Université de Lyon et défenseur sans complexes du modèle britannique, y voit même une « véritable pierre d’achoppement » de la réforme(1).
Et le problème des matériels roulants « véritable barrière à l’entrée [pour de nouveaux opérateurs] n’est pas juridiquement réglée », rappelle Fanny Malher, avocate au cabinet Magenta. Alors que Jean Ghédira, DG Clients et Services de SNCF Réseau, met en avant son outil POM (Programme d’Ouverture des Marchés) destiné notamment à aider les Autorités organisatrices, tout en avouant - bien curieusement - qu’il « n’a pas les données sur l’évolution du réseau sur dix ans ! » Cette situation pourrait-elle expliquer les décisions au coup par coup qui aboutissent à la fermeture brutale de lignes TER ?
Un autre obstacle s’ajoute ici, alors que Michel Neugnot, président de la Commission Transports de Régions de France, met en avant ceux liés à la complexité du « détourage » géographique et fonctionnel des lignes, qui seraient à mettre en concurrence. Puisque, complications supplémentaires, « les rotations des personnels et des matériels ne sont pas toujours parallèles ». Alors que ce sont des données précises dont les régions auront besoin de fournir aux candidats des futurs appels d’offres…
Une réforme à l’envers, parce que « politique et non fonctionnelle » ?
L’intervention de Rémi Aufrère-Privel, secrétaire-général adjoint de la CFDT Cheminots, est une forte charge contre le processus d’une réforme dont « la logique est politique et non fonctionnelle ». Alors qu’il aurait fallu partir des besoins réels [point de vue approuvé sur le plateau par Michel Neugnot, ndlr.], et donc inverser le processus en commençant par la LOM (Loi d’Orientation des Mobilités] qui aurait fourni un cadre.
C’est pourquoi on se trouve en face d’un « projet de loi plutôt vide », qui reste dans « la confusion, voire dans l’insincérité notamment [pour le sort des] lignes dites UIC VII à IX», affirme le responsable syndical. C’est pourtant « l’État-stratège qui doit donner la visibilité », conclut-il.
La table ronde sur le marché conventionné des TET et des TER est ouverte par Adeline Nico, directrice-adjointe du transport ferroviaire à la région Grand Est. Elle rappelle que, dans le cadre de la convention conclue cette année avec la SNCF, sa région a « réservé » 10% de l’offre - soit 3 millions de km.trains - pour « une expérimentation de l’ouverture à la concurrence d’ici janvier 2021. L’identification du périmètre géographique des lignes concernées est en cours ». Elle note aussi l’importance de la création d’une organisation ad hocqui, d’ici 2025, tiendra compte des lignes transfrontalières, les conventions de la Rhénanie-Palatinat et du Grand Est étant parallèles en durée.
Toutes les démarches régionales seront « examinées de près » annonce Olivier Salesse, directeur du transport ferroviaire à l’ARAFER. Le régulateur veut être le garant du processus de transmission des données et veut s’employer au règlement des éventuels différents.
Pour Laurent Mazille, directeur des relations institutionnelles de Transdev, « la concurrence n’est pas une baguette magique ». Aussi, le groupe « attend la rédaction des ordonnances », puis le contenu des cahiers des charges proposés pour se positionner. Il avance avec le même « pragmatisme d’approche » sur les TET si des offres se présentent. Mais aussi et surtout sur les TER, puisque les régions sont « diversement intéressées par l’ouverture à la concurrence », admet-il…
Franck Dhersin, vice-président aux Transports et aux infrastructures de transports à la région Hauts-de-France, annonce que la convention que la région va signer en décembre prochain avec SNCF Mobilités « comporte 15% du total des km.trains réservé à une expérimentation » [d’ouverture à la concurrence]. Et il affirme même vouloir « dépenser plus pour avoir mieux [car il privilégie] la qualité de service sur les économies ».
Économies que Laurent Mazille estime toutefois pouvoir réaliser grâce à la polyvalence des personnels et de moindres frais de structures(2). Franck Dhersin pointe également « l’inertie de l’État », alors que seulement 17 $% du montant du CPER 2016-2020 est engagé, et que sa région est prête à « mettre 50 % du coût de la rénovation des lignes qui ne lui appartiennent pas ». S’appuyant ici sur l’exemple des lignes de l’Étoile de Saint-Pol-sur-Ternoise(3).
Les difficultés de mise en œuvre de l’open access
Dès l’ouverture de la table ronde sur le marché de l’open access, Bruno Gazeau, président de la FNAUT, regrette que « la loi de 2014 qui devait définir les lignes d’intérêt national ne soit toujours pas votée, car elle donné les contours d’un véritable réseau TGV + Inter Cités à la charge de l’État ».
Les services pourraient alors être éventuellement ouverts à la concurrence par open access. Un système dont tous les intervenants constatent les difficultés de développement. Même si Roberto Rinaudo, PDG de Thello, filiale de Trenitalia, constate que l’open access a été introduit avec succès sur les LGV italiennes grâce aux baisses des péages, il convient qu’il a eu pour effet de « cannibaliser des trafics sur les lignes classiques ».
Pourtant, bien organisé, « il pourrait harmoniser l’offre » selon Bruno Gazeau. « Mais y aura-t-il des candidats ? », se demande Jean-Marc Zulesi, député des Bouches-du- Rhône, puisque « le coût du ticket d’entrée se situe au minimum entre 300 et 400 M€ ».
Avant les mots de conclusion de Franck Tuffereau, délégué général de l’AFRA qui constate « qu’un an après un premier colloque [organisé par l’association), nous avons aujourd’hui un socle législatif dans le domaine de l’ouverture à la concurrence», s’est déroulé un bref débat sur les exemples européens.
Dans le cadre de ce débat, il fut admis que l’on se trouve « dans une période bénie pour les juristes comme pour les régulateurs », selon Pascal Cuche, avocat spécialisé. Quand Stéphane de la Rosa, professeur de droit européen à l’Université de Paris-Est Créteil, s’inquiétait du fait que la réforme se soit « calquée sur les textes européens, parce que notre Code des Transports n’était pas assez précis ».
Un élément de plus montrant que la réforme confond vitesse et précipitation ?
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Il est vrai que la liquidation de « British Rail » l’exploitant historique britannique a réglé le problème de l’accès aux données !
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Selon le représentant de Transdev les coûts de structure représenteraient 10 % du prix total du km.train TER. Toutefois beaucoup moins que la maintenance et les retombées de l’organisation du travail.
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Une actualité qui sera traitée dans notre prochain numéro.
Le rapporteur s’explique sur une réforme-éclair
Jean-Baptiste Djebbari, député de la Haute-Vienne et rapporteur du projet de loi du Pacte ferroviaireà l’Assemblée nationale, est intervenu entre deux tables rondes. Pour de toute évidence, « faire de la pédagogie », selon le terme aujourd’hui tant prisé des politiques. « On a voulu faire un ensemble, une réforme-éclair», précise-t-il. Il soutient pleinement le processus choisi puisqu’il estime qu’il fallait d’abord faire en sorte que « la SNCF aille bien pour que la réforme se passe bien ». Et que la définition d’un réseau structurantne devra se faire qu’après un diagnostic réalisé ligne par ligne par SNCF Réseau. Suivi de la définition des schémas de transport et de mobilité régionaux. Qui peuvent s’appuyer sur la préparation des futurs CPER.
« Non seulement on a travaillé à l’envers mais on attend toujours une trajectoire financière tracée clairement pour SNCF Réseau et pour SNCF Mobilités », lui rétorque Olivier Jacquin, sénateur de Meurthe-et-Moselle. Alors que Jean-Baptiste Djebbari met en avant « l’augmentation conséquente du budget de renouvellement/modernisation [du réseau ferré ]qui figure dans la nouvelle loi de finance »…